Au cours d’une session de formation d’un groupe de superviseurs, pour la plupart, déjà en exercice, j’ai constaté leur grand intérêt pour les apports théoriques et méthodologiques permettant la prise en compte de l’histoire de vie du client, tant dans leurs pratique de coach que dans leur activité de superviseur. En effet, la supervision socianalytique, que j’avais été invité à leur exposer, prend en compte deux histoires connectées entre elles : celle du coaché et celle du coach.
C’est pourquoi, je souhaite dans ces quelles lignes montrer l’intérêt qu’a le superviseur à travailler 1) sa propre histoire de vie, 2) celle du coach qu’il supervise et 3) les intrications entre l’histoire du coach et celle du coaché. En effet, non travaillées, ces intrications d’histoires risquent de s’emboiter comme des poupées russes.
Qu’est-ce qui caractérise notre démarche de supervision ?
Disons au préalable que la supervision socianalytique découle d’une conception humaniste et existentialiste de l’individu en situation. Le superviseur rencontre le coach à un moment du développement professionnel de ce dernier et envisage la relation avec lui sur le mode du compagnonnage, du cheminement et de la co-construction. Rappelons ensuite que pour mettre en œuvre ce type d’accompagnement, nous articulons les apports de la philosophie existentialiste (Sartre), de l’analyse institutionnelle (Lourau), de la sociologie clinique (de Gaulejac), des sciences de l’éducation (Pineau, Delory-Momberger) et de la psychosociologie (Enriquez). En effet, le superviseur (comme tout accompagnant) accompagne un individu qui est dans une situation x ou y, comprise comme moment de totalisation de son passé, de son présent et de son avenir. Tout accompagnant accompagne cet individu en étant à l’écoute de son historicité, c’est-à-dire de sa capacité non seulement à « avoir » une histoire mais à faire évoluer celle-ci. Par conséquent, dans la relation d’accompagnement superviseur/coach, le superviseur accompagnera le coach (dans son analyse de ses cas de coaching) en tenant compte du passé du coach, c’est-à-dire de ce qui l’a construit sur le plan relationnel, psychique et émotionnel.
Cela passe par une étape clé qui consiste à proposer au coach un travail sur son histoire de vie, surtout si celui-ci n’a pas déjà fait un travail analytique conséquent sur lui même. Car ce n’est qu’en travaillant sur son histoire, que le coach analysant peut sélectionner et choisir ce qu’il/elle souhaite s’approprier de ce qui lui a été transmis comme valeurs, représentations, peurs, croyances, pensées auto-limitantes, interdits et autorisations qui sont plus ou moins consciemment présents dans sa pratique et à l’origine du transfert ou du contre transfert entre lui et son client.
Mais que signifie « travailler sur son histoire » ?
Nous proposons au coach d’explorer son histoire à partir d’un outil : le schéma socio-biographique. Nous l’invitons à élaborer ce schéma en y localisant les situations significatives de sa vie (personnelle, professionnelle et éducative) et de porter une attention toute particulière aux moments de dérangement, de changement, de crise, de conflit, de ruptures et de décisions, c’est-à-dire à toute une série de situations qui ont dérangé son parcours de vie. Nous avons en effet constaté que c’est l’analyse du dérangement et de ses effets qui permet de mettre à jour les éléments analyseurs constitutifs de cette situation.
Une autre séquence de ce travail de l’histoire de vie consiste à explorer les relations, les connexions, les tensions ou les contradictions entre les différents éléments constitutifs de ce parcours.
L’analyse de chaque situation vécue se fait de deux manières : de manière diachronique (en relation avec le passé de la personne) et synchronique (en relation avec le présent de la personne) de façon à pouvoir identifier des comportements à la fois sous l’angle de leur « genèse » mais aussi sous l’angle de leur manifestation dans l’ici et maintenant des situations actuelles.
Enfin, cette analyse s’effectue en prenant en compte d’une part, les relations individuelles, groupales et organisationnelles et, d’autre part, le niveau institutionnel (qu’on qualifie souvent de « face cachée » de l’organisation) et qui fait lien, contrat, règle et loi entre les individus.
Disons, pour résumer, qu’un superviseur socianalyste saura faire reconnaître au coach sa propre historicité, avec son histoire de vie, ses figures parentales et ses épreuves. Mais il saura également lui apprendre à repérer les résonnances entre son histoire et celle de son client. Le superviseur fournit donc des méthodes et des outils théoriques pour décoder les différentes histoires dans lesquelles le coach et le coaché se trouvent intriqués. Ce double travail contribue à ouvrir les espaces du possible et à aller dans le sens de dépassement dont parle si bien Sartre : « l’homme se caractérise avant tout par le dépassement d’une situation, par ce qu’il parvient à faire de ce que l’on à fait de lui » plutôt que par une appropriation passive et aliénante de l’ensemble de ses « héritages ».
Ce travail d’équilibriste entre supervision, coaching, conseil et formation nécessite des compétences et des outils. Mais n’est-ce pas ce qui fait la spécificité de la supervision ?
Dominique Jaillon
Références bibliographiques
Bourdieu, P. avec Wacquant, L.J.D. (1992). Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris. France : Seuil.
Delory-Momberger, C. (2000 ; 2004). Les histoires de vie. De l’invention de soi au projet de formation. Paris : Anthropos.
Gaulejac, V. de (1987). La névrose de classe. Paris : Hommes et Groupes.
Jaillon, D. (2014). Du coaching à l’Accompagnement Professionnel Personnalisé. Paris : Espace éditorial Le sujet dans la Cité/L’Harmattan.
Jaillon, D. (2008). Coaching professionnel : quelles spécificités ? Édition le manuscrit.